Les Meutes

Programme du jour : un poème sur un thème déjà exploré (comme le rappelle avec humour le dernier tercet), mais dont on étend ici le champ d’application ; encore uniquement des rimes féminines, très rigoureuses dans ce texte car ce sont aussi des rimes pour l’œil) ; et une personnification filée pour faire du corps un monde où les êtres grimpent, s’installent, et se reposent.

En ravissants troupeaux qui toujours s’agglutinent

Elles reposent là, rondes et toutes brunes

Sur les flancs apaisés que tes membres dessinent,

Du clair col de ton cou jusqu’au faîte – et d’aucunes

Auraient rimé par lune ce faîte orographique –

Où se lovent encor ces gouttes circulaires.

Leur endroit préféré, car leur goût est classique,

C’est cette pente douce où naissent dès pubères

Les bêtes orbes qui émoustillent le monde :

Haut sur le sein la meute excusée colonise

Son territoire élu par une grâce exquise.

Tous ces grains de beauté dont ce grand corps abonde

En meutes constellées ainsi que des féales

De ta vulve mouchée, sont mes fades étoiles.

Mythologie

Aujourd’hui, un peu de démystification, où le JE poétique (dans un mouvement presque contradictoire !) formule un pacte autobiographique qui permet peut-être de dépasser un peu le fil narratif du conte de fées.

Si l’on veut une histoire harmonieuse et lyrique,

Le schéma narratif impose une logique

Où vont de mal en mieux toutes choses humaines,

Car après des erreurs advient toujours l’hymen.

Tous mes poèmes crient l’idéal amoureux

Que j’ai sans le prévoir édifié peu à peu,

Et que j’ai couronné par mes délices neuves :

Ainsi le mythe dit que mes erreurs sont veuves.

Mais ces fragments partiaux sont choisis avec soin.

Je dis si peu, si bien, pourtant, un peu plus loin,

Il y a nos frayeurs, nos sanglots, nos discordes,

Ces taches du réel qui souvent nous débordent.

Démiurge du papier, je puis les ignorer,

Pour créer une fiction très simple et très flatteuse,

Comme une poudre d’or chasse la nébuleuse.

Je peux aussi choisir de ne pas les nier,

Car sans difficultés il y a moins de substance.

Notre amour est allègre, et les choses avancent.

Cunnilingua

Encore un poème commencé il y a un moment, mais qui demandait du temps pour être amendé et poursuivi. Programme : un ressaisissement sémantique d’un mot bien connu, des rimes sans grande rigueur dans l’alternance (tant pis), deux quatrains cycliques et déliés comme le sujet évoqué et deux tercets en forme de serment solennel.

Je suis celle qui lèche et celle qui aspire

Son frisson dans la combe ombrageuse et touffue

Où la fente écartée par ma langue crochue

Trace son liant sillon pour lequel je soupire

Et le cercle infini que je trace à mon tour

En soignant mes détours comme un rameau grimpant

Rougeâtre et carnivore tendu vers son amour

Fait naître un long soupir réciproque et pressant

Il me faut mériter l’épithète homérique,

Alors je fais poème où ma concupiscence

Végétale et vivante, est exacte allégeance.

Adieu, vieux monde, adieu ; je me voue aux feuillures,

A l’abîme et l’obscur ; et meurent les parjures.

Cunnilingua semper do fidem nunc et hic.

Welcome to Love

Super oldie. C’est comme ça parfois : on laisse de côté un truc impubliable, et puis on l’oublie, et on découvre qu’il est dans le tiroir depuis quelques années. Alors le programme de ce vieux poème périmé c’est : deux références musicales sur les affres de l’amour, flux de pensée et de cris, et volonté de finir un amour par la fuite poétique. Ce poème est l’un des derniers que votre humble servante ait écrit pour une certaine personne.

« Je sais qu’on serait même pas heureux ensemble »

Voici le vers boiteux mon pare-amour pour lui

Le monde le murmure et la chanson le dit

Bienvenue dans l’oubli parmi les voix qui tremblent

Et puis il est parti pourquoi penser toujours

Mais est-ce mal enfin d’aimer ici puis là

Ne suis-je pas comme eux comme elle ou comme toi 

Je voudrais te crier Que mes regrets sont lourds

Il faut que cesse un jour ce gourd enfantillage

Et casser ce babil tressé de mes doigts frais

La solitude hélas me confond davantage

Au diable l’inconstant au diable les amants

Laisse-moi tu me tues je n’en peux plus j’aimais

Trop tout en toi mais je dois te fuir maintenant.

« Je suis si sèch’ sèch’, d’habitude, ma chérie »

En ce moment, et depuis quelque temps déjà, la poétesse écoute beaucoup Thérapie Taxi, et cette phrase qui, un peu modifiée, et une fois la scansion un peu altérée, devient une sorte d’alexandrin irrégulier, dit bien des choses des bouleversements que vit le je poétique. Au programme : les divinités de l’aube et de la nuit étoilée, des synesthésies, et de l’eau, beaucoup d’eau.

Quand l’aube aux doigts de rose humecte un peu mes cils,

Une prime rosée a détrempé mes cuisses.

Comme mes yeux rosis qui pleurent de fatigue,

Mes lèvres – plus souvent – salivent de désir

Pour d’autres roses doigts, dès avant l’aube pâle,

Qui sont posés sur moi dans la chaleur des draps.

Il suffit que leur pulpe ait caressé mon bras,

Ait effleuré ma nuque, ait approché de moi,

Alors, conjugaison d’Eos et d’Astéria,

Ils paillettent mes nerfs d’une onde inépuisable ;

Une étoile piquante à chaque instant me cabre,

Et je l’exsude à flots dans des filaments gris

Qui collent aux dentelles de mon clitoris.

Déesse aux doigts de miel, sur terre tu m’animes.

Naevus vulvae

Au programme ce jour, encore de l’intertextualité : car si l’on n’est pas dans le monde que l’on trouve dans la bouche de Pantagruel, on est néanmoins dans un monde à part entière ; et l’on verra encore une allusion à peine voilée, et de saison, à Diderot. Et puis de discrètes synesthésies, un verbe inventé, et beaucoup de métaphores vaguement subtiles.

Et lorsque mon œil glisse où ta peau se chiffonne

Pour suivre goulûment ses lignes et ses fronces

Aux fils souples et crème, aux moirures de sconse,

Il se fixe un moment sur un bord qui moussonne.

La nature est taquine et pare quelquefois

Ses objets préférés de bijoux très discrets ;

Et sur ta lèvre enfouie dans l’ombre et le secret

Elle a posé ce grain de beauté que je vois.

A croire qu’ell’ pensât que cette mouche rousse

Fût un appât de plus pour que je colle à toi –

Pour vaincre la pudeur de la timide proie.

Mais elle eût pu, le grain, l’ôter de la frimousse :

Je ne peux oublier le monde entre tes cuisses

Il envoûte mes sens, par tous ses interstices.

Tempus lente fugit et amor celeriter nascitur

Au programme ce soir, une énième métaphore de la liquidité, des rimes féminines partout, et une dialectique entre la temporalité lente du passé et la célérité incroyable du présent. (Quand d’aucun.e.s fêtent la nouvelle lune, on fête la nouvelle muse.)

Il fallut des années, nombreuses et limpides,

Avant que je te trouve et que je te connaisse.

Tout était sobre alors, je n’étais point avide,

Avide de ta bouche où mes tourmentes naissent.

Comment ne pas crier que tu me bouleverses,

Que je ne savais rien ; que je m’étais trompée

Quand je croyais aimer des hommes. A l’inverse

C’est toi que je cherchais, une averse, trempée.

Ils me sont bien passés ces frémissements vagues.

Si j’effleure ta peau, si tu frôles mes cuisses,

Comme pour compenser ces années vulgivagues,

Je me noie de désir, juste en une seconde.

Et je me noie d’amour à mesure où languissent

Tous mes sens secoués par tes troublantes ondes.

Prolepse

Au programme ce soir : un motif ronsardien pastiché sans aucune vergogne, une première évocation poétique de mes douleurs physiques réinterprétées par métaphore anticipatrice (rien que ça), et beaucoup de R grinçants comme le corps souffrant décrit.

J’ai les bras accablés et le dos pétrifié ;

Déjà mon corps dédaigne avec moi d’être allié,

Si jeune que je sois. Alors, dans cinquante ans,

Quand je serai bien vieille, auprès du feu lisant,

Peut-être que mes yeux seront seuls bien portants,

Et que je ne pourrai rien faire de longtemps

Que souffrir vaguement, immobile, à pleurer,

A cumuler mes maux, à sécher mes pensers.

Alors je serai seule, et ton corps chaud, parti ;

Tu auras délaissé mon corps frêle, et meurtri

Par mes ruées assenées sur notre couche, amer.

J’aurais pu, me dirai-je, essayer de soigner

Ma douleur éternelle avecque ses baisers ;

Je me suis délabrée dans des froids adultères.

« Et la nuit éclairait la nuit »

Un poème de nuit, un poème qui change de format, et pour une fois, un poème sans trop de technique (et sans trop d’assurance) : je ne dirais pas qu’il s’agit d’écriture automatique (déjà, parce que ce n’est pas mon délire), mais on est au plus près de ce qu’on pourrait qualifier, pour moi qui me prends un peu la tête, d’une écriture intuitive. Programme : Roland Barthes et Jean de La Croix, douleur lyrique, rimes ponctuelles et qui trichent.

Et la nuit éclairait la nuit

Le jour pour moi n’est pas le jour

C’est la nuit noire ensoleillée

C’est l’amour puant dans les décombres

Celui qui m’attache à tes pieds

Qui me vacille et qui me traîne

Comme pénombre à tes côtés

Où court lugubre et pudibonde

L’ombre que j’ai de toi volée

Et la peine éclairait la peine

La joie pour moi n’est pas la joie

Il n’y a que le bruit patient

D’amour qui frappe mes années

Clémentes mais insuffisantes

A faire passer mes grands regrets

Car je ne sais comment t’avoir

Et car j’échoue dans mes projets

Oh mon cœur fond comme une mare

Et le gouffre éclairait le gouffre

Le mont pour moi n’est pas le mont

Je préfère l’abysse au nuage

Et les creux brûlants aux mensonges

Que pleuve ma complainte humide

Et que tu t’enfuies dans mes songes

On peut se terrer comme un ange

Mais tout noircit et tout me ronge

Je m’éclaircis de mes émois.