Onanisme

Le croira-t-on ? J’ai décidé que la pause, qui aura duré un an, était terminée, et je commence à avoir de nouvelles idées. Voici le premier poème qui vient rompre mon abstinence, et ça tombe bien, puisque ça parle, entre autres, d’abstinence. Programme du soir : un clin d’œil à la passante baudelairienne, une révélation croustillante concernant le premier signe de mon coming in, et dans le second quatrain et le premier tercet un hommage successif à mes deux fidèles muses féminines – les deux seules, muses éternelles, celles pour qui j’ai écrit. Il se peut que j’aie glissé quelques allusions à la génitalité femelle dans ce poème…

Le premier appât fut, pour mon virage arqué,

Non pas le doux souris ou le regard despote

D’une beauté fatale à l’ourlet soulevé –

Mais je crois que ce fut l’odeur de ma culotte.

Bien sûr qu’elle me plut, bien sûr que je l’aimai ;

Bien sûr qu’elle fendit la sévère Abstinence,

Drapée dans ses lourds plis étanches et muets,

Par son aura célère, armée de nonchalance.

Plus tard, d’autres parfums eurent ma préférence ;

Et je vis pour le sucre onctueux de la langue

Et l’acide salé des lèvres de l’aimée.

Toutefois avant que je fisse connaissance

Des deux muses chéries, c’est par ma propre gangue

Perméable et plissée, que je fus excitée.

Le pouvoir des images

J’entame un nouveau cycle, enfin, je ne sais pas si ce sera un cycle, mais varions un peu les sujets : tentons les poèmes politiques. Il se trouve que le politique est cher à l’autrice de ce blog, mais qu’il n’est guère représenté ; au moins, ce sera un sujet un brin plus original que les divers émois d’un je poétique trop sensible. Alors, au programme : des contes anciens et contemporains, une allusion à La Fontaine, et beaucoup d’ironie.

La vie n’est pas toujours tant aisée que l’on croit ;

Pour les petites gens… et pour la fille d’un roi !

Peau d’âne par exemple en pauvre créature

Avait les joues salies d’une vile sciure !

Il est bien difficile en ce monde cruel

D’être née des puissants et d’être un peu trop belle.

Aujourd’hui comme hier, trop de joues sont salies

Par l’âcre jalousie de l’humble au noir esprit.

Fuyons ces fats mesquins et ces vues odieuses

Pour ne voir que le blanc de la peau nettoyée

Et de l’âme élevée. Laissons là la pensée.

Refusons et sagesse et saillie judicieuse.

Préservons la paresse et l’image faussaire.

Gardons les beaux sonnets pour les fades chimères.

Une journée dans un pelage (typologie)

Nous ne sommes pas dans une chevelure (et pas non plus dans un hémisphère), mais ceci concerne la pilosité d’un être ; nous ne sommes pas non plus chez Süskind, mais ceci concerne les odeurs ; bref, au programme ce jour : un repas où l’on commence par le dessert et où l’on termine par le corps christique, une journée où comme le temps fuit, les odeurs passent, le tout dans « une espèce de blason ». Odor fugit, etc.

C’est la fraise des bois sur le poitrail bruni

Avant que l’eau ne lave et n’essore la nuit

Puis c’est l’herbe coupée de la barbe peignée

Ointe de bon matin par des doigts émoussés

Plus tard verdure cède à la faune la place

Quand dévale une miette et disparaît sans trace

Laissant seul un fumet fromager dans le poil

Où s’est niché le reste invisible et frugal

Mais le temps fait son œuvre et s’écoule la crème

– Sans ordre le banquet suit le jour qui le sème –

Remplacée par le pain de fin d’après-midi

Quand la pâte moelleuse éveille l’appétit

Je suis déjà pourtant farcie de ces saveurs

– Ces odeurs de toison que modulent les heures !

La Confiture

Programme du jour : renouons avec la poésie érotique et potagère (apparemment c’est une métaphore récurrente dans ce que j’écris, je n’en tirerai aucune conclusion).

Quand le soir toute nue tu viens te mettre au lit,

Pendouillant, oscillant, rose et tout innocente,

Je ne vois plus que toi ; là ma main, frétillante,

S’agite dans la hâte de peser ce fruit.

Comment ne pas vouloir d’un seul coup t’arracher,

Te presser, te croquer, et te dévorer grasse ?

Tu es délicieuse ! Et n’être pas vorace

Devant la fraise mûre, ô délice gâché !

Et cela porte un nom, ai-je appris récemment.

Il s’agit de vouloir étouffer ce qu’on aime,

De vouloir, d’émotion, détruire le charmant :

C’est l’agressivité mignonne qui paraît.

Alors si je pouvais mâchonner comme j’aime,

Ô verge sautillante, en charpie te mettrais.

Jean-Siméon Chardin, Le Panier de fraises des bois, 1761

Je n’ai jamais voulu mourir d’amour

Programme du jour : un sonnet où l’on refuse d’être Louise Labé, car elle n’est plus à la mode, la désespérance amoureuse. Le JE poétique dit : « Je ne souhaite encor point mourir », certes, mais je ne prierai point la mort de noircir mon plus clair jour si mes yeux se tarissent ; bien au contraire, qu’ils sèchent !

Car mon amour est souple et flexible et délié.

Non, je n’ai plus quinze ans ; le temps a disparu,

le premier amant est aussi le dernier

Pour une jeune amante en son angoisse nue.

Si un jour je suis seul’, car on m’aura quittée,

Par-dessus la douleur naîtra la résilience,

Et je ne serai point l’éternelle endeuillée

De ces romans trompeurs qui promeuvent l’errance.

Je suis encore jeun’, j’ai encor tant à faire.

J’ai déjà trop souffert en mes jeunes années.

Je ne m’ennuierai point à me désespérer.

Je t’aime maintenant, quand d’amour tu m’éclaires :

Mais si ton cœur m’éteint, si tu m’enduis de nuit,

J’irai lier mes nuits à des corps sans ennui.

[Pour le titre, voyez dans le poème]

Sous-titre : « Où l’art et le sens publics livrent un combat perdu d’avance contre la féerie privée du couple. Parfois, en public, sans crier gare, elle pète. » Au programme du soir : une allégorie tout en délicatesse, une métaphore filée de la nourriture, et des rabelaiseries.

On veut intimider, effrayer et séduire,
Et devant son audience, on est très dure à cuire.
Inaccessible et sûre, hautaine et implacable,
A paraître on emploie son art le plus aimable.

Mais dans l’intimité une ennemie perfide,
Intruse désirable, habile et intrépide,
Vieille alliée de l’Amour et du Couple installé,
S’incruste : la terrible, irrésistible fée

NIAISERIE.

Dans le Couple installé elle installe son cul,
Pète son écœurante poussière étoilée,
Qui étouffe le sens et qui bouche la vue,

Et qui fait dans la bouche une pâte de fion.
Est-on dure à griller : en pâté encroûté
Se transformera-t-on, en Couple à la maison.

Gerard Mas, sculpture hyperréaliste, série des « Dames » (2011 sq. ), exposition Hey ! à la Halle Saint-Pierre, Paris, juin 2019

Le nouveau collègue, ou le fantôme rasoir // Plain boring and extreme.

Aujourd’hui un poème d’anecdote et un poème-crachat, sur l’expérience désagréable, non pas de la madeleine de Proust, mais du chou de Bruxelles de Proust. Programme : des hiatus à foison, des diérèses (mais pas systématiques), un Fantôme de l’Opéra dont le chant est dissonant.

Cela fait si longtemps que je ne t’ai pas vu.
Il y a si longtemps que par moi tu t’es tu.
Mais un jour ô ! hélas ! importun comme toi,
Subite à mes oreilles est parvenue ta voix.

De ta voix seulement il était silhouette –
Ce sucré irritant, cet aigu indolent,
Ce parler précieux et piteux et pédant,
L’articulation érudite et inquiète.

Le reste tristement était moins glorieux,
Et toiser l’emballage* était rien moins que pire
(*De ta voix, qui du moins n’était point disgracieux) :

Le poil fou, le croc jaune et les pores séchés.
Fat car peu sûr de lui, insecure, pour finir.
Dieu je hais ce rasant, fade ersatz du passé.

Ironie

Aujourd’hui nous changeons de cible, et puis, il faut bien de temps à autre faire varier ses muses. Le titre cependant annonce que si quelque chose ne varie point, c’est bien le ton de votre humble servante… Programme : d’éphémères quiproquos, un vers phallique car on ne se refait pas, et une invasion progressive de la rime féminine.

Les filles n’ont jamais été trop de mon goût,

Mais les hommes que j’aime y croient voir ma lubie ;

Ô tragique méprise, en leurs yeux tu me nuis

Puisqu’ils jettent du vent quand je leur tends ma joue.

Il paraît que ma tête en ses côtés rasée

Comme mes joues trouées ou mes fringues bizarres

De ma sexualité sont des attributs phares

– Et j’apprends que je fuis certaine extrémité.

Pourtant il n’y eut jamais encor dedans mon lit

D’autre semblable à moi, mais à découvrir toute :

Me mirer ne suffit, il faudrait que je goûte.

Je ne la connais point, mais il m’en vient l’envie.

Le goût serait amer, si m’ayant vue lointaine

Elle allait à douter que je fusse lesbienne.

« Excuse-moi, jeune amie »

Pour bien entamer cette rentrée scolaire, voici une historiette sur mes déboires de jeune prof dans un lycée : quand l’on ne s’extasie par sur ma jeunesse et sur mon look, on (un élève) me prend… pour une élève… et s’adresse à moi avec familiarité. Programme du soir : un pastiche de Ronsard à ma coquine et alexandrine sauce, une moquerie amusée, et une rime erronée.

Mignon, sans façon non, n’allons voir si ma rose

Qui de très bon matin en des draps fut éclose

A point gagné de plis dans ses replis voilés

Et un teint plus pourpré dans des lieux déguisés.

Toujours jeune peut-être, et tu m’en vois flattée,

Néanmoins plus assez pour ce genre d’amitiés

Qui permettraient un tu, quand le vous est de mise,

Je ne saurais répondre à ta manière exquise.

Car quoique bien poli, bien civilisé,

Tu t’abuses trop vite en ta sotte apostrophe :

Ici me voici vieille, ennemie, enfin, prof.

S’il faut une morale à cette humble anecdote :

S’il est doux d’être crue élève et non despote

Il est bon d’être sourde aux bourdes des mouflets…

Du beau lobe

Aujourd’hui, au programme : un blason d’inspiration marotique sur une partie du corps trop dédaignée (tip : allez écouter l’adaptation du « Blason du beau tétin » par Clément Janequin), une référence aux torcheculs de Gargantua, et comme d’habitude des coquineries de mon cru.

Lobe petit, lobe douillet

Pendu comme goutte de lait

Lobe tout rond, lobe mollet

Lobe couvert de son duvet

Plus doux que le soyeux oison

Qu’un géant prit pour son torchon

Lobe dodu, lobe mignon

Orné d’un poil léger et blond

Niché de plus dans le fossé

De sa sœur souple et vallonnée

L’oreille rose et délaissée

Pour sa futile extrémité.

Lobe d’amour, sous la caresse

Tu fonds au doigt ; un bout de fesse

Ne peut égaler la promesse

De ta tendreté pour l’ogresse.

Car bien plus que te mâchonner,

Quel plaisir que te déguster,

Si je pouvais te découper,

T’assaisonner, t’à point griller.

Le seul morceau dans un tournoi

Apte à se mesurer à toi

C’est le dard de ce membre droit,

Qui sort timide et aux abois.

Lobe seulet, lobe oublié,

Lobe trop souvent renié,

Pour moi je cherche à te tâter

Tout seul tu sais me délasser

Et main vacante satisfaire

Quand je te pince, ourlet de vair

Alors heureuse et débonnaire

Je te sais tout à moi offert

Car s’ouvre la voisine bouche 

Où s’articule un « oui » farouche :

On m’aime tant, quand je te touche

Qu’auprès de l’ami je me couche.