L’Évanouissement

Un petit sonnet fort simple où l’on renoue avec le vice, et c’est le cas de le dire puisqu’on a tenté d’épuiser les rimes en [is] dans ce poème, en ne travaillant qu’avec un nombre très limité de sonorités. On a aussi cherché à faire sentir la résonance et la pulsation, la musique répétitive du cœur qui bat et de la petite activité à laquelle s’adonnent les protagonistes de l’histoire.

Le dimanche au repos nos grands organes glissent

L’un sur l’autre frottant une chair ondulée

D’où crépite parfois une électricité

Onctueuse et mobile entre nos pores lisses.

Le temps passe et répand jusqu’à nos clitoris

Son attente brûlante où s’étiolent crevées

Nos expirations trop longtemps éprouvées

Faisant battre nos cœurs dans d’incongrus abysses.

Lorsque je suis plus bas et que mon petit sein

Se niche par bonheur dans le creux du pubis

C’est à cet endroit-là, sous la fine pelisse,

Qu’elle sent mieux mon cœur qui pulse avec entrain

Résonnant dans les plis qui rebordent le sien

Et qu’elle défaille presque, tombée en précipice.

J’arrive à un âge où

(Un poème de vacances, d’un moment privilégié fait de détente, d’introspection et d’art, presque sans élèves. Contrairement à ce que le contenu pourrait laisser croire, c’est plutôt un poème tout doux, qui dit les petites joies solitaires de mes deux semaines passées chez moi et à profiter de la vie parisienne. Un poème qui commence comme une liste qui aurait pu être en expansion infinie, et un poème en vers libres : that’s WILD.)

Les gens retirent leurs chaussures chez moi alors que je ne le leur demande pas

Les poèmes sur la fuite du temps me donnent envie de pleurer

On s’attend à ce que j’aie fait à dîner lorsque j’ai des invité·es

J’essaie de m’inventer de nouvelles passions pour lutter contre la dépression

J’ai une longue ride qui court sur tout mon cerne droit

Ne pas parler des enfants de mes ami·es avec mes ami·es qui ont des enfants est une démarche consciente et raisonnée

Les publicités à la télévision visent les jeunes trentenaires comme moi et quand je les vois je me dis ah c’est intéressant ça

Je suis adulte depuis déjà bien plus de dix ans

J’ai le double de l’âge de mes élèves

J’écris sur le fait que le temps passe

J’ai eu le temps de faire tant d’expositions que c’est parfois déjà la deuxième rétrospective à Paris sur tel peintre mec dont j’ai déjà vu une rétrospective à Paris

J’ai de nouveaux problèmes de santé tous les deux ans et ils ne disparaissent jamais vraiment

J’ai commencé une thérapie

J’essaie de quitter l’ironie pour accueillir l’émotion

Nettoyer les joints de ma salle de bains prend une vraie place dans ma vie

J’ai eu le temps de progresser puis de régresser

Je bois de plus en plus de café

Je me dis qu’il faudrait que j’essaie de pardonner et même peut-être de me pardonner

Mais c’est dur

C’est encore dur

Pourtant chaque jour je me souviens encore que je vais mourir

J’ai toujours aimé les vanités la peinture flamande le clair-obscur de la mort qui vient

Je n’en éprouve aucun chagrin et je trouve ça beau

J’arrive à un âge où je me dis que j’ai déjà beaucoup accompli

Et que si je mourais demain j’espère qu’on serait fier·e de moi

De mes petits poèmes et de mes quatre accords au ukulélé

Qui font souffler les réponses dans le vent

Et mourir le lion dans la jungle

Plus de carnage

Je vais dans les musées je suis défaite d’émotion devant les crânes les fleurs qui fanent et les fruits qui pourrissent avec leur petite mouche

Tout est bien

Je vais mourir un jour mais en attendant j’essaie de vivre

Apprendre à mourir c’est apprendre à vivre tout ça

J’en suis au point où j’essaie même de faire des poèmes en vers libres

Tout se perd ma bonne dame

Mais moi dans le chaos j’essaie de me trouver.

Collage n°1 – « Où rien n’a d’importance / que l’appétit des vers »

Je me lance dans un nouveau hobby : la création de collages destinés à illustrer mes poèmes/vers. Voici le premier, où l’on a décidé de donner au E du premier hémistiche toute sa place, en divisant en quelque sorte le vers principal en deux. Le poème que le collage illustre ici.

J’ai beaucoup trop kiffé faire ça, mais ce n’est pas parti pour me guérir de mes obsessions… !

Leurs œuvres seront coupées de la réalité et privées de tout avenir ; ce seront des travaux d’aveugles, aussi navrants que la poésie des alexandrins.

(Beauvoir, Les Mandarins, t. 1, p. 58) Aujourd’hui, une petite réponse un brin nihiliste à une Simone de Beauvoir qui fait dire à son personnage que la poésie n’est pas politique, et qu’elle est en plus inutile et pathétique. Je crois que les alexandrins peuvent être ce qu’on veut (à plus d’un titre, même lyriques, ils peuvent être politiques), et je crois que si faire du lyrisme est inutile, si l’on raisonne en termes d’utilité, alors on pourra dire avec Théophile Gautier qu’à ce titre rien n’est utile et que l’endroit le plus utile d’une maison, c’est les latrines. Je crois (et c’est très personnel) que le lyrisme vient pour apporter un peu de beauté dans la désespérance qui peut nous envahir face à des actualités terrifiantes (exemple : en ce moment). Plus largement, si le beau doit être banni car vain, le politique a sa propre vanité dans le moment infinitésimal où nous sommes en tant qu’êtres vivant·es. C’est ce que je voulais dire avec ce poème, qui n’est pas si déprimant qu’il en a l’air.

Le lyrisme est navrant comme la pluie qui tombe

Le réel est navrant comme un alexandrin

Il semble propre et beau mais il y a sous son masque

La laideur de la tombe et du temps et de l’âge.

Je trempe tous mes vers dans les creux de mes lombes

Et je malaxe alors tout ce joyeux pétrin

On fait dire ce qu’on veut aux mots dans cette vasque

Ils n’ont point d’avenir, mais ils font équipage

Pour que ces chers traumas et autres émotions

Modelés dans mon corps dans de tout petits vers

Fassent irruption en piètre éruption

Dans le monde merdique où nous évoluons

Où rien n’a d’importanc’ que l’appétit des vers

Qui nous dévoreront, à poil dans la poussière.

De la littérature

Aujourd’hui, la suite de « Je ne veux vivre qu’entourée de femmes ». Il s’agit de poursuivre la réflexion, en interrogeant les normes du féminin et du masculin, mes goûts littéraires, ma construction personnelle, et ma capacité à exprimer mes émotions – rien que ça ! Bien entendu, pour les besoins du sonnet, il faut toujours simplifier un peu : si l’on peut voir l’incapacité à se connecter avec ses émotions comme une conséquence de la socialisation masculine en général, on pourrait aussi voir l’incapacité à s’abandonner et à perdre le contrôle comme une conséquence de la socialisation féminine… Quoi qu’il en soit, bonne lecture :).

Je goûte l’ironie dans le fait littéraire :

Libertin·e cynique ou bourgeoisie risible,

Le ris fin de Stendhal ou le cinglant Flaubert,

Activent un plaisir complice irrésistible ;

Je me sens cajolée dans mon cerveau nacré,

Modelé de l’idée que c’est intelligence

De se moquer des gens aux quatre coins de France

Et de manier en tout un fier second degré.

Sentir est ridicule, et mièvre, et féminin.

Façonnée par ces mecs, je ne sais pas toucher

Les intimes parois où s’appuient mes pensées

Quand je parle à ma psy. Je suis paralysée

Par peur que la candeur me donne l’air crétin.

Seule la poésie fait s’extirper ma voix.